Que la République ne devienne pas Rue Publique
Par Russel Yvan Wami
Le verdict attendu ne surprendra personne. L’instance chargée d’arbitrer la vérité des urnes ne s’écartera pas de la trajectoire qui lui est désormais familière. À l’image d’un monument historique dont l’inclinaison est devenue marque de fabrique, elle se penchera, une fois de plus, du même côté. La décision qui s’annonce sera rendue dans un décor où la scène aura été laissée presque vide, les principaux challengers ayant choisi de ne pas prêter leur voix à une proclamation qu’ils jugent entachée à la racine.
Seulement, il est des victoires qui ont plus le goût de la résignation que du triomphe. Lorsque l’on aspire à faire valoir un nouveau mandat après plusieurs décennies au sommet de l’État, l’on ne cherche pas seulement à gagner : on veut convaincre, raffermir, légitimer. Surtout lorsque, en amont, beaucoup ont travaillé à neutraliser un concurrent dont la popularité menaçait de rebattre les cartes. L’on voulait une victoire nette, irréprochable, indiscutable.
Ce ne fut pas le cas.
Le scrutin a accouché d’une victoire traversée de zones d’ombre et de signaux faibles mais insistants : des abstentions lourdes de sens, des votes de report inattendus, des frustrations longtemps retenues qui, soudain, ont pris voix. Une victoire, oui. Mais une victoire émoussée, presque grinçante.
L’analyse approfondie de cet épisode révélera sans doute une erreur majeure : celle de croire qu’un peuple qui souffre longtemps finit par s’habituer à sa souffrance. Or, lorsque l’espérance se fait rare, on peut se tourner vers celui qui, malgré ses défauts, semble au moins disposé à se battre. La jeunesse, elle surtout, n’a pas renoncé. Elle s’est déplacée. Elle a envoyé un message.
C’est ici qu’il faut être clair, sans pour autant céder à l’exaltation.
La colère peut être force de renouvellement, mais elle peut aussi, si elle n’est pas contenue, devenir brasier sans horizon. Plus que jamais, il faut rappeler à chacun – et en particulier aux plus jeunes – qu’aucune transformation durable ne naît du désordre, de la rue faite tribunal, de l’État réduit à une agora improvisée. La République n’est pas un espace où l’on bouscule les institutions au gré de l’émotion. Elle ne doit pas devenir une foule en mouvement perpétuel, sans direction ni projet.
Ce scrutin, de son côté, dévoile une vérité gênante : le système qui s’est installé au fil des ans n’est plus capable de s’auto-justifier. La campagne menée à bas bruit, avec pour seule démonstration publique un déplacement unique marqué par des scènes théâtrales, n’a convaincu ni les militants, ni les observateurs. Le temps joue désormais contre celui qui, jusqu’ici, pouvait attendre, temporiser, différer. Les marges se sont resserrées.
Dès la prestation de serment, la dynamique sera celle d’un cycliste sur une pente ardue. Il faudra avancer vite, réparer, réconcilier, réinventer. Car le pouvoir peut s’obtenir par les mécanismes institutionnels, mais la confiance, elle, se conquiert dans la vie réelle, dans les gestes, dans les actes. Et c’est là que tout se jouera.
Au-delà de la proclamation officielle qui ne tardera plus, le véritable défi est ailleurs :
gagner les cœurs, restaurer la paix, réconcilier la Nation avec elle-même.
Et rappeler à la jeunesse que la lutte n’a de sens que lorsqu’elle construit.
Pas lorsqu’elle détruit.
Pas lorsqu’elle se laisse manipuler.
Pas lorsqu’elle se contente de la colère sans projet.
La République n’est pas appelée à devenir une rue publique.
Elle doit demeurer une maison commune.
Une maison qui se corrige, s’améliore, mais ne s’effondre pas.